La plupart des personnes que j’ai croisées sur mon chemin semblaient chercher, dans les entrailles de leur passé, une vérité absolue et vérifiable, pensant que cette vérité les sauverait de leur malheur, négligeant ainsi sans même s’en rendre compte la quête de leur propre bonheur. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’égoïsme malsain que de (re)modeler son histoire en quête d’une vérité émotionnelle authentique plutôt que factuelle.
Prenons mon diabète comme exemple. Les médecins ont ancré en moi l’idée qu’il s’agissait d’un coup du sort, une « faiblesse génétique », un« système immunitaire défaillant ». Et j’ai adhéré à cette notion, longtemps. J’en ai fait une vérité. Cependant, au tréfonds de moi, un orage grondait. Ma vérité. Ma vérité, c’est que le diabète était une métaphore de mon réveil. Un éveil à une existence plus authentique. Je ne suis pas devenu un être illuminé, je suis simplement devenu chaque jour, depuis ce 4 février 2008, une version plus vraie de moi-même. Le diabète raconte mon voyage, ma douleur, mon inconscient qui a choisi de mourir pour me donner une seconde chance de vivre pleinement.
Les mots doux, « je t’aime », m’ont fait défaut pendant mon enfance. J’en ai tenu rigueur à mes parents jusqu’à il y a peu. La vérité universelle veut que j’aurais dû recevoir ces tendres mots, au moins d’un des deux. Pour me sentir aimé et apprendre à m’aimer. Ma réalité, c’est qu’en dépit de toutes les douleurs endurées, j’ai appris grâce à mes parents l’importance de ces « je t’aime ». Les exprimer, les recevoir, les faire vibrer en les émettant et en frissonnant de joie lorsqu’ils me sont retournés. Le chemin a été plus long, peut-être, mais il n’y a qu’en transformant les « à cause de » en « grâce à » que je peux vivre en paix.
Durant mon adolescence, on m’a ridiculisé pour mon embonpoint. Malgré les 6 heures hebdomadaires passées à m’entraîner pour les compétitions de tennis, je gardais cette rondeur, et je peinais à rivaliser dans les courses de vitesse avec mes pairs. Pourtant, j’étais imbattable en endurance. Les matchs les plus longs étaient mon domaine, j’avais toujours de l’énergie à puiser dans mes réserves. Ce stigmate que l’on m’a collé m’a fait souffrir, surtout quand j’ai rejoint une classe sportive, en seconde, en cours d’année, remplie de grands et costauds rugbymen, alors que ma puberté n’avait pas encore démarrée, sans doute due à des émotions liées à mon histoire de vie. Je vous laisse imaginer l’ambiance dans les vestiaires à mon égard. J’aurais pu porter ce fardeau toute ma vie. Quelle souffrance. A la place, une belle histoire s’est construite. J’ai découvert mon bouclier, mon armure, ma bouée de sauvetage. Mon ventre. Ma poitrine. Ils ont encaissé les coups. Et aujourd’hui, peu à peu, jour après jour, ils se redressent fièrement. Ils reprennent vie, tout comme mon dos. Mon armure est toujours là pour me protéger, mais elle se redresse au fur et à mesure que les blessures du passé sont soignées. Je n’ai plus besoin de prendre du poids. J’en perds beaucoup même, sans régime. Je n’ai plus besoin de me recroqueviller. Je peux m’étirer et m’élancer. Je peux goûter à nouveau à la joie d’un corps qui reprend vie.
On m’a souvent reproché d’avoir des mains de femme. Qu’elles étaient petites et trop féminines pour incarner l’homme viril que j’essayais maladroitement d’être pour faire comme les autres. Aujourd’hui ces mains massent, jouent du piano, du violon, avec une délicatesse dont je suis fier.
Une précédente compagne a appelé tous mes amis en m’accusant d’être manipulateur, pervers narcissique, lorsque je l’ai quittée pour me protéger. Moi, je me sentais emprisonné. J’ai toujours suivi mon intuition. J’ai toujours su m’échapper avant que les filets ne se referment définitivement sur moi. Aujourd’hui, je connais tant de gens enfermés dans des relations qui ne leur conviennent plus depuis des années. Ma réalité, c’est que ça ne devait pas m’arriver, à moi. Je savais qu’un jour, en continuant sans relâche à diffuser mes valeurs de bienveillance et de sécurité sur mon chemin, je finirais par trouver une folle raisonnable qui me ressemble, la princesse charmante dont on dit qu’elle n’existe pas et qu’il vaut mieux « se caser » avant qu’il ne soit trop tard. Et je l’ai trouvée.
Au-delà des psychologues et psychiatres qui m’ont confirmé plus tard ma bonne santé mentale (j’ai quand même eu besoin de passer par là, tant les accusations m’ont blessées), j’ai surtout enfin rencontré une femme qui vibre les mêmes valeurs que moi, sur du long terme. Je n’ai jamais renié mon histoire. J’ai tenu bon. Je ne me suis jamais résolu à être juste « le mauvais garçon jamais satisfait qui quitte toutes ses compagnes parce qu’il est trop exigeant« .
On m’a reproché d’avoir abandonné mon fils à l’âge de 6 mois en quittant sa maman. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que je serais mort aujourd’hui si je ne l’avais pas fait. Quel joli cadeau pour mon fils ça aurait été. Mon histoire, ma vérité, c’est que j’ai offert à Gayann la chance de partager des moments précieux avec un papa épanoui, heureux dans sa vie et dans son corps, pour le restant de sa vie. Quel plus bel exemple aurais-je pu vouloir lui montrer. Je te le promets, Gayann, jamais je ne t’abandonnerai. J’écouterai toujours, avec mon coeur, tout ce que tu as sur le coeur, et j’en tiendrai compte. Je serai toujours présent à tes côtés pour te guider. Ensemble, si tu le souhaites, nous pourrons nous raconter la plus belle des histoires, liant un père et son fils à jamais dans l’Amour, quelles que soient les épreuves que la vie nous réserve. Tu pourras me bouder, me faire la tête, autant de temps et autant de fois que tu le souhaites. Jamais je ne t’abandonnerai. Tu auras toujours un père aimant et présent à tes côtés quand tu en ressentiras le besoin ou l’envie.
Les faits sont ce qu’ils sont. La manière avec laquelle ils se lient dans l’amour en moi m’appartient et je fais le choix de me raconter la plus belle histoire possible pour entretenir mon bonheur.
Je ne suis pas ce que vous pensez de moi.
Ce que vous pensez de moi vous regarde.
Je ne porterai plus jamais ce poids à votre place.