Lorsque je pose mes doigts sur le clavier pour donner naissance à une création, je suis inévitablement confronté à l’abîme de la page blanche. J’ai avec le temps adopté des techniques et des outils pour me faciliter le passage à l’action. Mais tout de même, l’essence persiste au fond. La feuille blanche restera toujours pour moi un espace de possibilités infinies, un champ de bataille où je lutte avec mes propres peurs et désirs. Au cœur de cette lutte se trouve une tension entre deux forces puissantes : la peur de ma mort et mon besoin de reconnaissance.
Il y a plus de dix ans ans en arrière, lors d’une promenade au sommet d’une falaise avec ma compagne de l’époque, j’ai été frappé par la beauté silencieuse du grand fleuve près d’Inverness, refuge du fameux monstre du Loch Ness. Bien plus colossal que je ne l’avais imaginé, cette étendue d’eau représentait une vie, une histoire, une tentative de laisser une empreinte sur le monde. J’ai été saisi par une peur soudaine et profonde de la mort et j’ai vraiment réalisé ce jour-là à quel point la peur de ma mort allait me guider pour le reste de ma vie. Être passé si près de mon dernier souffle un an plus tôt avait bouleversé définitivement tout mon univers intime, et pour la première fois je le ressentais.
Le processus de création de « Fous Alliés » est une expérience intense et profondément personnelle. Chaque jour, je me confronte à la page blanche, à la peur de la mort, à mon désir de reconnaissance. J’écris ou ne j’écris pas, avec toujours la même urgence, comme si chaque mot que je déposais sur mon clavier était un bouclier contre l’oubli. Je veux que mon histoire soit entendue, que mon nom soit reconnu, et que HUNKAAR puisse continuer à exister pour l’éternité. Là où certains aspirent à sauver le monde pour échapper à leur propre désarroi, je veux transmettre à mon prochain les outils qui m’ont moi-même rendu plus heureux au cours de ma vie.
Mais le processus de création n’est pas seulement une lutte contre la peur de la mort. C’est aussi une quête de reconnaissance. Pourquoi suis-je autant attaché à ce que HUNKAAR reste éternellement associé à mon nom ? La peur que l’idée originelle soit dénaturée ? Tâchée ? Je veux que mon travail soit apprécié, que mes idées soient prises au sérieux. Je veux que mon nom soit associé à une œuvre de qualité, une œuvre qui aura un impact sur le monde. Cela peut paraître présomptueux dans une société comme la notre, mais c’est avec philosophie et humilité que je l’écris.
Cependant, malgré mon désir de reconnaissance, j’ai souvent été guidé dans la vie par des intuitions paradoxales. Quand j’ai écrit « La voix de l’inconscient », je l’ai fait avec une facilité déconcertante que je ne m’explique toujours pas. Les lignes défilaient sous mes yeux pour raconter le livre sur lequel j’aurais aimé tomber lors de mon premier pas dans l’hypnose. Etrangement, ce ne sont pas les dizaines de milliers d’exemplaires vendus, ou même les milliers de messages de remerciements reçus qui sont parvenus à me sauver de mon immense besoin de reconnaissance, un vrai puits sans fond. Je suis toujours aussi fragile. Toujours aussi anxieux.
Tant que je serai vivant, mon oeuvre restera inachevée.
C’est à ce moment-là que j’ai relié enfin mon besoin de reconnaissance à autre chose que les retours positifs ou négatifs de l’Autre. Je pensais réussir à soigner mon besoin de reconnaissance par la quantité de retours positifs, alors qu’au final j’ai juste eu à l’accueillir et à l’accepter tel qu’il est pour lui enlever tout son poids. Mon besoin de reconnaissance était lié depuis le début à la peur de ma propre mort.
Tant que je serai vivant, dans le sens « connecté émotionnellement à mon être intérieur », je serai baigné dans une lutte infernale pour que mes gênes et mes idées soient transmis, que mes créations survivent le plus longtemps possible les derniers battements de mon coeur.
Sans les valider pour autant, je comprends mieux maintenant d’où proviennent toutes ces dynamiques de pouvoir entre les Hommes. Ils ont peur de mourir deux fois. Une première fois lorsque leur corps meurt, une deuxième fois lorsqu’on les oublie définitivement.
Malgré ces défis, j’ai continué à créer. J’ai continué à écrire, à lutter contre la peur de la mort, à chercher la reconnaissance. Et à travers ce processus, j’ai découvert quelque chose de profondément libérateur : la création elle-même est une forme de reconnaissance. Chaque mot que j’écris, chaque histoire que je raconte, est une affirmation de mon existence, une preuve que j’ai vécu, que j’ai laissé une trace dans le monde. Cliquer sur publier me soigne. Je me sens mieux après. J’arrête petit à petit de chercher à être lu ou vu. J’apprends à être.
Quelques fidèles lecteurs m’aident sur le chemin, je ne suis pas encore totalement libéré. Alors j’en profite pour vous remercier tous. Aurore, Christine, Soazig, Sylvaine, et toi aussi. Oui toi. Je t’aime parce que c’est grâce à toi que je n’ai plus ce besoin de reconnaissance qui vibre aussi fort à l’intérieur de moi.